International

Le Moyen-Orient à l’épreuve de la force : effondrement du droit international et retour à l’anarchie originelle

Par Antoine Nérilus

La crise qui secoue actuellement le Moyen-Orient illustre avec une acuité dramatique le dépérissement du droit international sous la pression des logiques de puissance. Depuis juin 2025, l’intensification des hostilités entre Israël et l’Iran, marquée notamment par des frappes américaines ciblant des sites nucléaires iraniens, révèle un ordre mondial dans lequel la loi est suspendue à la volonté des États forts, tandis que les faibles n’ont que le silence, la reddition ou la ruine comme options.

I. L’histoire en retour : Thucydide, Machiavel et le paradigme de la force

Déjà au Ve siècle avant notre ère, Thucydide, dans La Guerre du Péloponnèse, opposait Athènes à Mélos dans un dialogue tragique : « Les forts font ce qu’ils peuvent, les faibles subissent ce qu’ils doivent. » Cette maxime tragique demeure la matrice des relations internationales contemporaines. Machiavel, dans Le Prince, avait déjà rompu avec toute idée d’éthique universelle en politique : pour lui, la conservation du pouvoir légitime l’usage de la ruse et de la force, quelles que soient les considérations morales.

À la lumière de ces penseurs, le Moyen-Orient d’aujourd’hui n’est plus qu’un théâtre renouvelé du darwinisme géopolitique : il n’existe pas d’arbitre capable de faire prévaloir la justice sur la puissance. Le droit international, construit après 1945 pour interdire la guerre et consacrer la souveraineté des États, s’est révélé être un mythe dans un monde dirigé par les intérêts stratégiques.

I a. États-Unis, Israël et Iran : l’asymétrie structurelle et la stratégie du choc

Le 20 juin 2025, les États-Unis ont bombardé trois sites nucléaires iraniens, arguant d’un impératif de sécurité nationale et d’un soutien indéfectible à leur allié israélien. Pourtant, ni le Conseil de sécurité, ni l’Assemblée générale de l’ONU, n’ont été saisis de manière formelle, ce qui constitue une violation flagrante de la Charte de San Francisco (1945), notamment de ses articles 2(4) et 51.

Israël, quant à lui, justifie ses frappes préventives sur le territoire iranien au nom d’une « peur légitime », fondée sur les déclarations menaçantes du régime des mollahs. L’Iran, de son côté, réplique en évoquant le droit à la légitime défense contre un « État occupant » protégé par une superpuissance. Des deux côtés, les violations du droit international humanitaire, notamment des Conventions de Genève de 1949 (sur les attaques contre des civils, les infrastructures médicales, les prisonniers), sont manifestes. Mais elles restent sans conséquence judiciaire réelle.

II. Le silence des institutions internationales et la vacuité du droit

Le système onusien, conçu comme garant d’un ordre de paix post-Hiroshima, est aujourd’hui paralysé. Les États-Unis, membre permanent du Conseil de sécurité, bloquent toute résolution contraignante contre Israël. L’Assemblée générale, quant à elle, n’a qu’un pouvoir moral, donc inopérant.

En mai 2025, la Cour pénale internationale a émis un mandat d’arrêt contre le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou pour crimes de guerre à Gaza. Mais ce mandat ne sera jamais exécuté, car Israël n’est pas partie au Statut de Rome et bénéficie d’un soutien logistique, militaire et diplomatique sans faille de Washington. Cela démontre que le droit, sans le glaive pour l’imposer, n’est que rhétorique.

III. L’illusion du droit après les deux guerres mondiales : une mécanique obsolète

Le XXe siècle avait connu deux tentatives de domestication de la guerre : la Société des Nations (1919) et l’Organisation des Nations Unies (1945). Double échec. Toutes deux se sont heurtées à la très persistante réalité de la souveraineté armée vieille de dizaines de millénaires. Plus près de nous chronologiquement, le Congrès américain, sous la présidence de George W. Bush, avait même tenté – par le truchement constitutionnel des congressmen, dérogation interne– sans l’aval de l’assemblée générale des Nations Unies (dérogation grave à portée internationale)- d’interdire toute intervention militaire unilatérale des États-Unis en Irak, mais la Maison-Blanche est passée outre en 2003, violant le droit international avec l’invasion qui suivit. L’Irak, comme l’Afghanistan, la Libye ou la Syrie, sont aujourd’hui des vestiges d’États, produits de la « guerre juste » transformée en chaos durable.

IV. Vers un ordre du feu : géopolitique de la peur et impératif de l’armement

La peur qu’éprouve Israël face à la possible nucléarisation de l’Iran n’est pas infondée, mais elle révèle l’échec total des mécanismes de sécurité collective. En retour, l’Iran, encerclé par des bases militaires américaines, se sent menacé dans son existence même. Cette spirale mène inévitablement à une course aux armements, légitimée non par le droit, mais par l’instinct de survie.

La possession d’armes de destruction massive devient le seul véritable garant de souveraineté, malheureusement et heureusement. Plus un État est armé, plus il peut imposer sa volonté, violer des frontières, exploiter des ressources, mépriser les normes et se protéger. Le pétrole, l’uranium, l’irridium, l’or, les corridors stratégiques de navigation (comme le détroit d’Ormuz ou le canal de Suez) définissent les conflits à venir. Dans ce contexte, les notions de pitié, de droit ou de solidarité internationale n’ont aucune valeur opérationnelle.

V. Vers un ordre du feu : géopolitique de la peur et impératif de l’armement

Les premières victimes de cette instabilité géopolitique ne sont pas les puissances qui s’affrontent, mais les nations les plus pauvres, les plus vulnérables, celles dont l’économie repose sur des chaînes d’approvisionnement mondialisées fragiles et sur une stabilité régionale désormais compromise. Les États subsahariens, de nombreuses nations insulaires et les pays les moins avancés d’Asie et des Caraïbes — souvent déjà écrasés par la dette, l’inflation et les dépendances alimentaires — subiront de plein fouet les contrecoups économiques du conflit. La hausse du prix du baril de pétrole, l’interruption des flux commerciaux via le détroit d’Ormuz, ou encore la militarisation des corridors énergétiques font peser une menace directe sur leur développement. Ce sont ces nations, dénuées de toute marge de manœuvre stratégique, qui paient le prix de guerres qu’elles n’ont ni voulues ni provoquées. Le désordre mondial, imposé par les forts, est financé par la souffrance silencieuse des faibles.

Le Moyen-Orient est le miroir du monde post-westphalien en ruine. La géopolitique contemporaine ne se régit pas par des traités, mais par des rapports de force, des coalitions d’intérêt et des instincts de domination. Le droit international, privé de ses muscles, n’est qu’un instrument de légitimation pour les vainqueurs. Comme l’avait compris Thucydide il y a plus de deux millénaires, la morale s’évanouit là où commence la puissance. L’avenir ne dépendra pas de traités ou de chartes, mais du feu, du fer et des flux d’intérêts. Autrement dit : la paix par la peur, non par le droit.

Professeur Antoine NERILUS, doctorant en sciences politiques et relations internationales, analyste politique, journaliste.

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