Crise

RACINE INFO: Haïti : Quand l’État Unitaire est Détrôné par de Petits « Royaumes » Criminels

Par Antoine NERILUS

 

La République d’Haïti, édifiée sur les principes fondamentaux de l’indivisibilité territoriale et du monopole étatique, se trouve aujourd’hui dévastée par une réalité qui défie les cadres théoriques de la science politique classique.

 

Max Weber, en conceptualisant le monopole de la violence légitime, et Joseph Schumpeter, dans sa thèse sur le monopole de la fiscalité, ont défini l’État comme une entité souveraine exerçant exclusivement ces prérogatives pour préserver l’ordre et financer ses fonctions.

 

Cependant, la déliquescence des institutions publiques en Haïti a engendré un éclatement territorial dramatique, où des entités criminelles imposent leur domination, dépouillant ainsi l’État de son autorité.

 

L’État s’effondre, ses bras répressifs étant paralysés par son propre laxisme, l’impunité et l’inefficacité. Alimentés par la pauvreté extrême et l’absence de politiques sociales, ces groupes prolifèrent dans un vide institutionnel total.

 

Face à cette dérive anarchique, seule une refonte intégrale des structures étatiques, combinée à des actions fermes de rétablissement de l’autorité, peut inverser la tendance et restaurer un minimum de stabilité et de justice en Haïti.

 

Dans plusieurs régions stratégiques, des groupes armés se sont arrogé le droit de percevoir taxes et impôts en établissant des points de péage, minant ainsi l’essence même de la souveraineté étatique.

 

Ce phénomène illustre non seulement l’effondrement du monopole fiscal théorisé par Schumpeter, mais aussi la faillite morale et opérationnelle d’un État laxiste qui a renoncé à ses responsabilités régaliennes.

 

Ces bandes criminelles trouvent leur origine dans une précarité économique chronique, une absence flagrante de politiques sociales, un laxisme étatique institutionnalisé, une licence dont ils bénéficient de la part d’autorités politiques et économiques et une impunité systématique.

 

Plus qu’un simple affaiblissement de l’État, cette situation témoigne d’un effondrement systémique, où l’autorité publique a été supplantée par une violence anarchique.

 

L’État haïtien, incapable de garantir la sécurité, d’assurer les services de base ou de répondre aux besoins primordiaux de ses citoyens, voit son rôle réduit à une coquille vide. Les armes, substituts des institutions, régulent désormais les relations sociales, et la peur devient la norme dans un quotidien fragmenté.

 

Les conséquences de ce chaos sont multiples. Non seulement les citoyens sont-ils contraints de se soumettre aux diktats de ces groupes armés, mais l’économie nationale elle-même s’en trouve paralysée.

 

Les fonds collectés illégalement échappent aux caisses publiques, privant ainsi l’État de ressources indispensables pour sa reconstruction. La situation s’aggrave par l’absence de tout projet cohérent de rétablissement de l’autorité, transformant Haïti en un territoire morcelé où se conjuguent anarchie et désespoir.

 

Joseph Schumpeter établit que l’efficacité de la collecte fiscale est cruciale pour la survie et la souveraineté d’un État. Cependant, en Haïti, cette vision est mise à mal par la montée en puissance des gangs armés.

 

Ces derniers prélèvent illégalement des taxes dans les zones qu’ils contrôlent, détournant les ressources fiscales et affaiblissant l’autorité de l’État. Cette dynamique leur permet de se renforcer, de devenir plus autonomes et d’élargir leurs activités criminelles.

 

De plus, l’État haïtien semble incapable de freiner l’entrée illégale de munitions, alimentant les conflits armés. Ces groupes exploitent non seulement des postes de péage clandestins qu’ils créent, mais ils augmentent simultanément leur emprise territoriale.

 

L’État doit contrôler rigoureusement toutes les entrées sur son territoire afin d’empêcher l’infiltration d’individus ou d’éléments répréhensibles. En Haïti, la passivité des autorités face à l’entrée illégale d’armes et de munitions suscite des doutes et soulève des suspicions quant à d’éventuelles complicités.

 

Ces failles dans la gouvernance fiscale et sécuritaire mettent en lumière un État dysfonctionnel, où la collecte des taxes ne sert pas à la construction nationale mais alimente la déstabilisation.

 

Ainsi, la théorie de Schumpeter échoue en Haïti, faute d’un cadre institutionnel solide pour l’appliquer.

 

Pour espérer une résurgence de l’État haïtien, il est impératif d’engager une réforme institutionnelle profonde visant à éradiquer la corruption et l’impunité, qui gangrènent ses structures. Une politique audacieuse doit également être mise en œuvre pour revitaliser l’économie, par des projets de développement à long terme, aptes à réduire la précarité et offrir des alternatives viables à la criminalité.

 

Parallèlement, l’État doit réaffirmer son monopole de la violence légitime en rétablissant la sécurité dans les zones délaissées, en renforçant la capacité de ses institutions répressives, tout en garantissant la justice sociale et l’accès équitable aux ressources publiques.

 

La violence et l’échec de l’État ne sauraient être considérés comme des fatalités. Par un effort concerté et une gouvernance éclairée, Haïti pourrait retrouver sa souveraineté, restaurer la dignité de ses institutions et offrir à son peuple l’espoir d’un avenir enfin débarrassé des ténèbres de l’oppression. Pour ce faire, il faudra résister aux diktats intéressés à finalité destructrice et se hisser à la dimension de notre glorieuse histoire de peuple vertical !

 

Professeur Antoine NERILUS, normalien supérieur, spécialiste en gouvernance de l’État, doctorant en sciences politiques et relations internationales, journaliste, traducteur/interprète.

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